La révolution digitale, une machine à tuer l’emploi
Forum de Davos Où trouver les postes de travail de demain, pour remplacer ceux qui vont disparaître dans le tourbillon du numérique?
La prédiction est terrible. Une étude du World Economic Forum (WEF) lundi, un rapport de l’Organisation internationale du travail (OIT) mercredi: l’alerte est similaire, qu’elle provienne des partisans de la liberté d’entreprendre comme de la plus sage OIT. La révolution digitale qui entre désormais de plein fouet dans la plupart des branches économiques pourrait se traduire par la disparition nette de millions de jobs.
Ce scénario catastrophe est amplement commenté dans les salons feutrés du WEF, qui a ouvert ses portes hier avec une allocation du président de la Confédération, Johann Schneider-Ammann, et un entretien entre Klaus Schwab, fondateur du Forum, et le vice-président des Etats-Unis, Joe Biden.
Explosion du chômage au Sud
Comme l’a relevé l’OIT, le chômage touchait quelque 197,1 millions de personnes en 2015, un million de plus qu’en 2014, 27 millions de plus qu’avant la crise de 2008. Et les nouvelles provenant d’Amérique latine, de Chine et des pays arabes exportateurs de pétrole ne sont pas bonnes. Cette «destruction créatrice» chère à l’économiste Joseph Schumpeter, penseur estimant que ce phénomène est l’une des essences du capitalisme, est-elle saine? Ou porte-t-elle les germes de secousses sociales de grande ampleur?
Les perdants sont connus: les gens des campagnes, la grosse industrie, des emplois de service et de proximité, surtout dans les nations émergentes.
Dans quels secteurs se nichent alors les postes de travail de demain? Paradoxalement dans la haute technologie, qui aura besoin de main-d’œuvre qualifiée pour faire tourner ses nouvelles entreprises (entretien des robots, éoliennes et capteurs solaires, laborantins dans la biotechnologie, commerciaux tentant de séduire les internautes, etc.). «Les services à la personne vont aussi se développer», ajoute Raymond Torres, chef économiste à l’OIT, qui estime aussi que les personnes «sachant bien utiliser les nouveaux réseaux» s’en sortiront mieux que les autres, dans les pays du Nord comme du Sud.
La Suisse est bien armée
C’est aussi le constat d’UBS, qui a publié mardi soir une étude classant 45 pays selon les critères de cette révolution digitale. La Suisse y caracole en tête, devant Singapour et les Pays-Bas (voir notre graphique). Le Danemark s’en sort plutôt bien (9e, devant le Japon, l’Allemagne ou la France). Ce pays scandinave est aussi cité en exemple par Jyrki Raina, secrétaire général du syndicat IndustriALL Global Union, qui représente 50 millions de salariés: «Nous comprenons que l’industrie doive changer. Elle l’a toujours fait. De nouveaux emplois vont apparaître dans la planification, la logistique ou l’entretien des nouvelles technologies qui seront utilisées par les industriels. Mais ce que nous demandons, c’est que les multinationales prennent des mesures proactives pour que cette transition se passe avec le moins de dégâts possibles sur l’emploi. Au Danemark, poursuit le Finlandais, 80% des salariés sont syndiqués, les employés se montrent flexibles mais ils restent bien protégés. Et le chômage, en novembre, se situait à 4,5%.» Soit un des taux les plus bas d’Europe occidentale.
Jyrki Raina en appelle aussi à «de gros efforts en matière de formation» afin de ne pas laisser sur le carreau les ouvriers et employés menacés par la révolution digitale. Le président d’UBS, Axel Weber, est conscient du danger. Mais il croit que cette irruption technologique sera globalement positive. Y compris dans les services financiers où se créent de nouvelles sociétés.
Secteur bancaire en mutation
La bagarre sera rude. Les banques du Sud se montrent agressives en offrant des services en ligne, gérés par leurs employés locaux, en Inde ou ailleurs. En Chine, par exemple. A l’exemple de la China Construction Bank qui a déployé une immense banderole au cœur de Davos, mais surtout à un jet de l’agence où UBS a invité les médias pour commenter son rapport.
Ce bureau existera-t-il encore dans cinq ans? Et les experts d’UBS vont-ils se «muer» en robots? «J’admets qu’il s’agit pour moi d’une question existentielle», a reconnu en souriant Lutfey Siddiqi, l’un des auteurs de l’étude. «La qualité du service fera la différence. Et elle passe par la proximité avec la clientèle. Mais il faudra maîtriser ces nouvelles technologies», a résumé Axel Weber.
Malgré ces pistes, on se demande tout de même quel sera le gisement d’emplois de demain. Le Moyen Age avait ses paysans, le XIXe siècle ses ouvriers, le XXe ses cols blancs. Et le XXIe? Tout le monde ne sera pas expert digital en ceci ou cela, généticien ou négociant en énergie éolienne. Ou encore accompagnateur de personnes âgées.
Tribune de Genève/21.01.2016